
2025
CARMEN B. MIKELARENA
BAR 2025 #12
La forêt de la pensée magique.
Comment se construit une sorcière
CARMEN B. MIKELARENA    
Dans cette édition, le jury composé d'Eider Rodriguez (écrivaine), Oskia Ugarte (directrice du Centre d'art HUARTE) et Bitamine a sélectionné le projet de Carmen B. Mikelarena (Madrid, Espagne) pour faire partie du programme BAR 2025.
Dans les forêts et les montagnes qui bordent la Bidasoa, la mémoire se cache dans des récits transmis de génération en génération. Là où les lamias se coiffaient avec des peignes en or et où Mari reliait la terre aux rythmes de la nature, la peur s'est également tissée. Cette peur a été codifiée, manipulée et dirigée contre les femmes. La chasse aux sorcières au Pays bas basque, avec des épisodes aussi atroces que ceux de Zugarramurdi, n'était pas un délire isolé, mais un dispositif sophistiqué de contrôle social qui visait à discipliner les corps, les savoirs et les libertés féminines.
Être sorcière, c'était souvent être une femme hors norme : guérisseuse, sage-femme, veuve, solitaire, détentrice d'un savoir qui échappait à l'autorité masculine. À la frontière entre mythe et hérésie, entre tradition orale et répression inquisitoriale, un ennemi a été fabriqué pour justifier les bûchers, les silences et les spoliations. Ainsi, le mot « sorcière » est devenu une étiquette chargée de suspicion et de violence, mais aussi un miroir dans lequel se reflétaient les peurs d'une société qui ne tolérait pas l'autonomie féminine.
La recherche de Carmen B. Mikelarena part de ce territoire chargé d'histoire et de résonances symboliques pour s'interroger non seulement sur la manière dont la figure de la sorcière a été construite, mais aussi sur ce que ce processus révèle de notre propre culture. Loin d'appartenir uniquement au passé, la pensée magique réapparaît aujourd'hui sous diverses formes : rituels, pseudo-thérapies, horoscopes ou pratiques spirituelles contemporaines qui dialoguent avec le besoin humain de sens.
Depuis Bitamine, dans cette zone géographique et culturelle où convergent les langues, les mémoires et les frontières, ce projet trouve sa place naturelle. Car étudier comment se construit une sorcière, c'est aussi enquêter sur les mécanismes d'exclusion et les stratégies de résistance qui traversent les femmes, hier et aujourd'hui. Et parce que nommer - Izena duen guztia bada* - c'est faire exister : cette forêt de pensée magique redonne voix et corps à celles qui ont été réduites au silence.
Helga Massetani Piemonte